10 déc. 2021

ETATS GENERAUX DE LA JUSTICE

 

Le Président de la République a procédé le 18 octobre dernier au lancement des Etats Généraux de la Justice.

Le syndicat Interco CFDT Pénitentiaire a été sollicité pour y participer sur la thématique « justice pénitentiaire et de réinsertion »

 C’est pourquoi nous nous y associons aujourd’hui par la transmission  d’une contribution écrite.

 Il faut avant tout reposer les termes du débat et poser une estimation de la place accordée à l’objectif de réinsertion dans les missions des services pénitentiaires :

                           -en évaluant les conditions concrètes de sa réalisation notamment dans les relations des services pénitentiaires avec les autres acteurs concernés.

 

                          -en  mesurant  l’évolution des dispositifs (aménagements de peines entre autres…) et les moyens mis à la disposition de cette « vocation »  (l’humain : point sur lequel nous insisterons tout particulièrement face aujourd’hui à une pénurie de personnels d’insertion et de probation en proie à une grande détresse psychologique liée à une impression d’abandon par leur administration de tutelle)

 

 

Il faut entendre la réinsertion des personnes détenues faisant l’objet d’une mesure privative de liberté à l’intérieur d’un établissement pénitentiaire (milieu fermé) mais aussi les personnes prévenues ou condamnées confiées à l’administration pénitentiaire au titre d’une mesure judiciaire privative ou restrictive de liberté (milieu ouvert).

Comment l’administration pénitentiaire peut-elle aider à la réinsertion des personnes condamnées ?

Elle est déjà la plupart du temps confrontée au  problème de la surpopulation carcérale. Il est particulièrement difficile de promouvoir le droit à la dignité et le droit quand les établissements sont surencombrés.

La surpopulation est un facteur d’aggravation des conditions de détention insatisfaisantes  tant dans les conditions d’accueil (parcours arrivants) que dans l’affectation qui suit (conséquences des violences et des tensions).

Ce qui entraîne inéluctablement une réinsertion mise à mal puisque l’accès aux activités est parfois compliqué et l’accompagnement des PPSMJ par les SPIP est rendu difficile.

Les actions de l'administration pénitentiaire en faveur de la réinsertion des détenus sont pourtant nombreuses et diversifiées. L’exigence de réinsertion, et, à travers elles, la prévention de la récidive, sont au cœur des missions confiées à l’administration pénitentiaire : travail, formation professionnelle rémunérée, l’enseignement, l’importance primordiale du maintien des liens familiaux, l’accès à la culture, au sport, l’accès à la santé…

La préparation à la sortie reste pour une large part dans les  missions dévolues aux  CPIP.

 

De fait, la réalité aujourd’hui réside dans  l’incapacité grandissante à pouvoir garantir  l’accès aux dispositifs de réinsertion et de préparation à la sortie des personnes détenues.

 

Il faudrait pouvoir  doubler le nombre de CPIP……et systématiser les partenariats avec pôle emploi, les bailleurs sociaux, la mission locale, la préfecture, le fonds de garantie, le trésor public, la CAF, la sécurité sociale et les pôles médicaux en créant des référents dans chacun de ces différents organismes.

                           

 La mise en place des assistantes sociales dans les SPIP a permis d'améliorer l'accès aux dispositifs d'insertion et l'accès aux droits sociaux.

Chaque personne bénéficie à son arrivée d'un état des lieux de sa situation sociale et professionnelle. Les dispositifs sont mis en place dès que cela s'avère nécessaire.

   
Le frein le plus réel concerne les courtes peines qui ne facilitent  pas l'accès aux dispositifs faute de temps. Les personnels sont également confrontés aux personnes qui ont épuisé tous les dispositifs et qui ne veulent plus avoir à faire ni au pôle emploi, ni au CHRS. Ces dispositifs ne leur ont pas été utiles dehors.

 

Reste aussi le frein de la psychiatrie. Aucune structure ne prendra en charge un sortant de prison malade et non stabilisé et là aussi le temps joue.

Nous sommes souvent confrontés au décalage entre le temps social et médical et le temps judiciaire.  

L'idée de créer des quartiers sortant a pu paraître séduisante mais elle est avant tout facteur d'angoisse supplémentaire pour la PPMSJ qui se trouve sans solution. De plus, ces quartiers usent les professionnels en place qui sont submergés de demandes urgentes et n'ayant pas toujours de solutions. 

 

            Dès lors, l’utilisation excessive de la peine d’emprisonnement doit être réajustée.
Il faut lever les freins au développement des alternatives à la détention et rendre effectifs les alternatives et les aménagements de peine.

 

Pour cela des moyens matériels et humains alloués aux alternatives à l’incarcération doivent pour cela être déployés pour éviter des difficultés de fonctionnement dans les services dédiés à ces missions.

 

Sur le terrain, nous constatons effectivement une dégradation de l’efficacité coercitive de l’incarcération.

 

Pour autant, le fait que les peines soient aménagées de manière quasi systématiques vide de leur sens nombre d’entre elles et notamment lorsque ce sont des mesures de sursis révoquées qui sont portées à l’écrou.

Le législateur en 2012 s’est basé sur les systèmes nord-américains en copiant l’approche du « what works »  pour réduire la récidive. Ce principe est parti du constat que les détenus sortant de prison avec un aménagement de leur peine avaient un taux de récidive 4 fois moindre que celui de ceux qui étaient libérés en sorties dites sèches.

A partir de là,  une analyse simple voir simpliste de ce phénomène a été faite en rendant presque automatique les aménagements de peines.

Au lieu de s’intéresser sur les raisons de ce faible taux de récidive, seul le résultat a été pris en compte et non les causes…….

De manière honnête, il convient de considérer que cela pouvait également servir une politique de gestion des flux carcéraux pour laquelle la France a été régulièrement retoquée en matière de surpopulation carcérale et donc des conditions de détention.

Le raccourci a donc été aisé et une politique d’aménagements « automatiques »  accompagnée du principe selon lequel l’incarcération devait rester exceptionnelle en matière correctionnelle a contribué à la situation actuelle de dégradation de la réponse pénale.

 

Il aurait été de bon aloi de prendre en compte le «  what works   » en considérant que si le taux de récidive est si faible pour les personnes aménagées, c’est parce que  ces dernières sont actrices de leur projet.

Les aménagements de peines clefs en mains ou automatiques sont néfastes et contreproductifs.

  

Enfin, concernant cette problématique, nous constatons les faiblesses de la détention à domicile.

 

Du point de vue matériel, la personne n’est pas empêchée physiquement de commettre de nouveaux faits. Les modifications horaires sont nombreuses et simplement soumises à l’avis du magistrat.

Cette mesure qui est la dernière alternative à l’incarcération est dénaturée par des changements d’horaires qui sont trop fréquemment accordés par les SPIP. Les modifications d’horaires devraient relever d’une décision judiciaire alors que la délégation de cette prérogative qui reste exceptionnelle dans le droit positif français touche un domaine de sécurité publique…….c’est très discutable.

Cette situation rend donc les aménagements de peines et la réponse pénale moins efficaces.

 

Pour résumer, le risque essentiel demeure dans l'absence de prise en compte de l'individualisation de la peine. Les réponses automatiques mise en place par l'administration pénitentiaire comme les CPU et la LSC empêchent la préparation aux aménagements de peines tellement ces mesures sont chronophages en raison du nombre traitées chaque semaine. Il serait souhaitable de réfléchir à une prise en charge individuelle. Des réunions de synthèse avec l'ensemble des partenaires prenants en charge la PPMSJ aurait certainement de meilleurs résultats. Cela permettrait de se concentrer sur les situations ayant de réels besoins. Aujourd'hui, le CPIP ne voit plus la PPSMJ parce qu'il y a un besoin mais parce qu’il y a une échéance.

 

Ce qu’il faut enfin retenir, c’est la réalité des difficultés inhérentes aux différents services de l’administration pénitentiaire. Tant que les effectifs ne seront pas revus à la hausse, il ne pourra y avoir de solution miracle !!

 

La situation des effectifs de CPIP dans le Var à titre d’exemple  est tout simplement ALARMANTE !!!!

Alors soyons sérieux !!! L’administration pénitentiaire compte ses besoins en ressources humaines  en faussant les modes de calculs et en comptant sur le dévouement des agents de cette filière.

Cependant, ces mêmes agents, souvent diplômés de Bac+5 nous font de plus en plus part, de leur envie de quitter leur fonctions.

 

Ainsi,  les 24 derniers mois, ont été dénombrés pas moins de six « burn-out » de CPIP sur un effectif de CPIP départemental de 66 agents.

Si nous ramenons le taux de « burn-out » sur l’année, nous arrivons donc à un pourcentage d’agents de 4.5% sur le Var. Si l’on y ajoute les agents en CLD qui n’occupent plus leurs postes pour des raisons de santé légitimes, nous arrivons alors à des chiffres effrayants non pas pour la DAP ou le ministère de la justice mais pour les agents présents qui  eux-mêmes, doivent maintenir un même niveau d’intervention.

Pire encore, au lieu de réduire la voilure, la DAP demande à ses cadres de développer des initiatives totalement détachées des réalités du terrain. Ce fut l’intervention motivationnelle puis maintenant la justice restauratrice alors que sur Toulon, 27 agents REELLEMENT présents et en fonction, devraient effectuer les tâches des 39 figurant sur les organigrammes.

 

Il serait vraiment opportun de se pencher sur le RECONNAISSANCE DE LA PENIBILITE du métier de CPIP   statut qui de fait ne fait pas ou plus  rêver ! Même pour les contractuels….   La réalité est donc là : les services éprouvent des difficultés à recruter ces derniers  et lorsqu’ils intègrent les services, ils ne souhaitent pas forcément rester sous la pression existante et quittent les SPIP quelques mois après (deux exemples en un an sur Draguignan)

Les titulaires eux aussi ne se considèrent plus comme des privilégiés et ils nourrissent des velléités à quitter cette administration.

 

Ceux voulant rester ont enfin déclaré de manière assez unanime, qu’ils essayaient de faire ce qu’ils peuvent en avançant leurs missions de sécurité publique et de prévention de la récidive. Que les demandes institutionnelles déconnectées de la réalité du champ du possible ne les concernant finalement plus vraiment et qu’ils y répondraient quand ils seront en capacité de le faire…..

Ces CPIP ne semblent donc plus reconnaitre leur hiérarchie au sein même de l’AP mais plus certainement envers les magistrats à qui ils rendent des comptes sur le respect des obligations dans le cadre des mesures dont ils ont la charge.

Cet aspect est d’autant plus apparent que l’administration pénitentiaire  évalue  ses « besoins  » en CPIP en omettant de comptabiliser les procédures 723-15 (enquêtes qui peuvent représenter 10 heures de travail en moyenne dans le cas de déplacements)

Elle considère également que lorsqu’un CPIP suit une personne pour un Sursis probatoire, un TIG et puis une enquête 723-15, alors cet agent n’a qu’un seul dossier attribué…….car rattaché au même nom. C’est juste méconnaitre le fait que le CPIP devra effectuer des démarches différentes et des rapports spécifiques pour une même personne.

Ainsi, de tels cas peuvent mobiliser le CPIP de manière dramatiquement chronophage et cela l’administration  ne le reconnait pas, l’omet ou ferme les yeux volontairement…….amenant à un ratio de dossiers de 110-120 voire même plus de 130 dans les mauvaises périodes.(contre 60 dossiers selon les recommandations des RPE (règles pénitentiaires  européennes)

 

Voilà donc la réalité de la justice dans la filière insertion   qui subit  une pression quotidienne.

 

La CFDT Pénitentiaire se doit d’être à l’écoute de la souffrance exprimée par ces personnels qui semblent  pourtant vraiment attachés et investis dans leurs  missions de service public et qui traduisent la situation actuelle comme un abandon  de leur administration de tutelle.

 

Les Etats Généraux ne  représentant donc concrètement que des digressions intellectuelles bien éloignées de la réalité du terrain des SPIP et des CPIP et des personnels pénitentiaires dans leur globalité.

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