Le vendredi 08 janvier 2016, la CFDT a été reçue à la DAP pour une réunion bilatérale sur le projet de doctrine d’emploi des Unités Dédiées.
La délégation CFDT était composée de M. Jean-Philippe GUILLOTEAU, secrétaire fédéral Interco Justice, de M. Eric FIEVEZ, secrétaire national du SNCP-CFDT et de M. VANROYEN Sébastien, permanent national du SNCP-CFDT. Nous avons été reçu par Madame Géraldine BLIN, en charge des UD et de Me1.
Cette réunion se basait sur le projet de doctrine d’emploi des Unités Dédiées envoyée le 07 décembre par la DAP, dont Me BLIN nous a rappelé les principaux points.
La création des UD s’inscrit dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme annoncé par le premier ministre le 21 janvier 2015, suite aux attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Toutefois, nous avons rappelé qu’une expérimentation avait été déjà mise en place bien avant au CP de Fresnes et pas toujours dans des conditions optimums. Nous avons également tenu à rappeler que nous étions opposés à toute idée de faire des établissements spécifiques axés sur la garde de détenus radicalisés. A l’heure où la fermeture de Guantanamo se profile, il serait en-effet aberrant d’ouvrir autant de petits Guantanamo en France.
Il y a donc cinq UD, une basée à la MA de Fresnes (26 places), deux à la MA de Fleury (20 places x2), une à la MA Osny (24 places) et une au CP d’Annoeullin (28 places à l'ancien QMC), avec en tout donc 118 places, dont 46 en UDE, 28 pour les plus réfractaires et 44 en UD « classique ». Pour tous, le régime de détention est dit "ordinaire", mais avec un encellulement individuel. Les UD d’Osny et de Fleury sont destinées aux détenus accessibles à une remise en question, avec une prise en charge avant tout collective. L’UD d’Annoeullin est destinée aux réfractaires (structure autonome sécurisée dans l’ancien QMC), évitant ainsi des affectations trop importantes à l'isolement et avec une prise en charge uniquement individuelle.
Les deux Unités Dédiées à l'Evaluation (UDE) sont basées à la MA Fleury et au CP de Fresnes, avec deux possibilités d'affectation: par le parquet avec des écroués pour des faits de terrorisme ; en interne à l’administration pénitentiaire, avec des détenus se radicalisant en détention et non incarcérés pour des faits de terrorisme (d’où l’importance du renseignement pénitentiaire).
La procédure d’affectation en interne est la suivante : après signalement d’un détenu semblant se radicaliser, la CPU transmets son avis au CE qui fait une demande de transfèrement vers une UD à la DISP, qui si elle est en accord avec ladite demande la relaie au bureau MI1, qui décidera au final du transfert ou non du détenu concerné, le tout avec l’accord du magistrat compétent. La même procédure est engagée si le détenu est déjà écroué dans un des quatre établissements disposant d'une UD.
Nous relevons que dans la doctrine d’emploi, les surveillants sont prévus de participer à la CPU alors qu'ils ne sont pas mentionnés à l'article D90 du CPP.
Les UD fonctionnent sur le principe d’entrée et de sortie permanentes et en cas d’absence de places, les détenus devaient aller au Quartier Arrivants !
La CFDT s'opposant à cette affectation d’attente totalement inadaptée, la DAP nous a confirmé qu’il n’en serait rien, sans toutefois préciser dans quel secteur les détenus seraient donc mis en attente.
Le recrutement des surveillants se fait sur la base du volontariat avec une formation de trois semaines pour l’ensemble de l’équipe pluridisciplinaire et notamment les CPIP.
Le séjour en UDE a pour objectif d'évaluer la radicalisation du détenu et d'établir une prise en charge adaptée. Dans les quinze jours suivant son affectation, le détenu a un entretien au moins une fois avec tous les intervenants de l'équipe pluridisciplinaire (direction et détention, SPIP, psychologue et éducateur -le binôme de soutien-), à laquelle s'ajoutent les autres intervenants (médical, enseignants, visiteurs etc.). L’établissement d'un emploi du temps chargé aura pour but de limiter l'oisiveté et de favoriser les modes d'expression pour pouvoir faire une observation approfondie.
Nous avons signalé qu’il y a un grave problème de recrutement des éducateurs spécialisés. En effet, il s’avère que des éducateurs, fraîchement sortis d’école, ont postulé directement et ont été recrutés sur ces postes, qui nous paraissent pourtant plus destinés à des professionnels aguerris.
Nous avons eu la double surprise d’avoir pour réponse que les DISP avaient fait le choix de payer à minima les éducateurs et donc les chevronnés n’étaient pas intéressés par ces missions mal payées et de plus, que des jeunes s’adapteraient plus facilement à ce contexte très particulier, car n’étant pas encore totalement formatés dans leur métier ni totalement formés dans leur personnalité !
La CFDT n’adhère absolument pas à ce point de vue, car ce qui fait la communication avec des personnes à forte personnalité est le respect qu’inspire l’interlocuteur, bien plus que son jeunisme.
Au bout de 15 jours, la CPU donne un avis et s'il n'a pas été permis d'évaluer correctement la personne, le CE peut décider le maintien en UDE d’une durée maximum encore de six semaines (huit semaines donc en tout maximum).
Une fois l'évaluation possible, chaque membre de l'équipe pluridisciplinaire rédige une synthèse écrite, déterminant le niveau de radicalisation, les facteurs de cette radicalisation et la capacité du détenu à adhérer à un programme de prise en charge en UD ou en établissement ou à l’inverse son refus (dans ce cas, il est affecté dans une UD ou en isolement). Pour combien de temps ? Quelque soit l’affectation décidée à l’issue de la période d’observation, il est insisté sur l'importance de continuer le suivi dans l'établissement d'arrivée.
La CPU rédige une synthèse au CE qui la transmet au DI avec son avis, puis le DISP a ensuite 8 jours pour décider de la suite, le tout là aussi avec accord du magistrat compétent et transmet la demande au BGD, qui a encore 8 jours pour décider et le transfert se fait dans les 10 jours suite à la date de décision. Il est noté que jusqu'à la décision finale le détenu est maintenu dans l'UD/E... Là se pose une question essentielle : que va-t-il y faire? Il aura été évalué et devra encore attendre donc parfois jusqu'à 26 jours pour être réaffecté?
La CFDT estime que ce laps de temps est problématique, et pour le détenu ayant entamé un processus de déradicalisation, car, il faut absolument continuer le suivi en cours, et surtout pour le détenu étant réfractaire, car il pourrait parasiter le travail en cours avec d'autres détenus. La DAP a tenu compte de cette remarque et a indiqué réfléchir à un moyen de raccourcir ce délai d’attente bien trop long.
Comme en UDE, c’est le même principe d'entrée et de sortie permanentes qui s’applique en UD, l'objectif étant de "provoquer la remise en question des facteurs divers de radicalisation", par le biais de séances collectives, d’entretiens individuels, de modules progressifs autour de grandes thématiques (laïcité, géopolitique, théologie...) et d’un programme individuel et personnalisé. La procédure d’évaluation est la même que celle en UDE par le biais de la CPU.
En cas de refus de coopérer de la part du détenu, un recadrage est fait et une procédure disciplinaire était même initialement envisagée dans la doctrine d’emploi, mais qui a été heureusement retirée par la DAP puisqu'entraînant d’évidentes difficultés en termes de légalité.
De fait, on se rend bien compte que l'administration n'aura en réalité aucun moyen de contraindre des réfractaires, si ce n'est de les isoler.
Nous nous inquiétons d’un circuit infernal que pourraient donc faire certains détenus les plus radicalisés, à savoir UDE, puis UD d’Annoeullin, puis isolement, puis UDE etc, ce dont se défend l’administration en indiquant qu’elle espère que ce cas de figure ne se présentera pas.
Le projet de doctrine d’emploi définit la durée maximum du séjour en UD à maximum 6 mois, sauf exception.
La CFDT a fait remarquer que c’était un délai bien court pour permettre une remise en question de ces personnes.
La DAP nous a répondu qu’en-effet, cela était bien trop court et que ce serait plutôt 6 mois minimum.
Nous nous sommes étonnés qu’il n'y a pas de description plus fine des actions pour l'UD d'Annoeulin. Or il semble que ce soient les détenus y étant affectés qui sont les plus problématiques.
La DAP nous a répondu à ce sujet qu’elle avait volontairement élaboré une doctrine d’emploi souple, afin de laisser le soin aux établissements de s’adapter du mieux possible aux profils de détenus accueillis et à la structure existante.
Du point de vue le la sécurité, les UD sont implantées en détentions ordinaires, ce ne sont pas des QI, mais auront une étanchéité "relative" comme à Fresnes et de fait pour les autres (zones séparées), sauf pour les mouvements à Fleury (pas d'accès réservé). Les caillebotis seront de mise, la promenade réservée, les parloirs décalés si possible afin d’éviter les regroupements en salle d'attente avec une surveillance visuelle permanente possible. Pour chaque visiteur ou intervenant, le B2 sera demandé avec la possibilité mais non l’obligation de demander une enquête Préfecture, tandis que le régime des fouilles reste le même que celui défini par l’article 57 de la loi pénitentiaire. Une attention particulière envers les familles et les visiteurs et toute autre personne doit être faite et le contrôle des correspondances (téléphone et écrits) rigoureux avec s'il le faut une traduction. Une attention accrue sur les mandats (expéditeurs, fréquence, montant) est également demandée.
Concernant la sécurité de la structure, deux fouilles de cellule par mois sont demandées (ce pourrait à minima être une fois par semaine) et un contrôle des locaux de l'unité et des fouilles sectorielles devront être réguliers. Les UD seront dotées de portiques de détection, de magnétomètre (détection portable et ou armes) et de système de brouillage des portables à terme.
Nous avons indiqué que le plus tôt serait le mieux.
Mais la DAP nous a répondu que des procédures de marchés devaient être respectées, ce qui prenait un peu de temps, sous peine de retarder encore la dotation.
A terme, une évaluation sur le plan organisationnel et individuel sera mené ; cela nous apparaît en-effet plus que nécessaire !
Enfin, au niveau de l’observation et de la traçabilité, le projet de doctrine indique qu’il conviendra "d'être particulièrement vigilant quant au risque de connexion ou de pressions entre personnes radicalisées".
On touche là le coeur même de la difficulté qui est demandée à notre administration de répondre ! Ne va-t-on pas au contraire favoriser la radicalisation de certaines personnes en les mettant en contact quasi permanent avec les plus extrémistes ou même favoriser la communication entre les plus dangereux de ces extrémistes, facilitant ainsi la mise en oeuvre de projets terroristes ? Car au delà de cette volonté affichée, comment s'y prendre concrètement??
Le projet de la doctrine prévoit des traducteurs, mais comment éviter que des personnes communiquent en cour de promenade, au travers des caillebotis, en ateliers collectifs, durant les mouvements ?? Si la gestion de ces détenus ne semble pas inquiéter notre administration en termes de sécurité dans nos établissements, qu’en est-il de ses conséquences sur le sol de la République ???
Il est précisé que les UD ne concernent que les détenus hommes.
Nous posons la question de la prise en charge des détenues femmes de plus en plus nombreuses à se radicaliser.
Là encore, la DAP a indiqué réfléchir au problème.
La CFDT a fait également part du besoin de travailler sur divers points notamment les horaires de service des personnels de surveillance dans ces unités, les indemnités liées, la reconnaissance des acquis et de l'expérience, la valeur ajoutée au dossier de l'agent en terme d'avancement…
La délégation CFDT